Argumentaire : Caisse unique

Berne/ , 30 août 2024

Situation initiale

La population suisse a clairement rejeté l’idée d’une caisse unique étatique à quatre reprises déjà. Suite au rejet, lors de la votation du 9 juin 2024, des initiatives d’allègement des primes et pour un frein aux coûts, le PS a annoncé son intention de lancer une nouvelle initiative début 2025. Hier comme aujourd’hui, les tenants d’une caisse unique entendent convaincre la population qu’il s’agit de LA solution pour lutter contre la hausse constante des coûts de la santé et donc contre la hausse des primes. Ce qui est faux et trompeur.

La position de curafutura en bref

curafutura rejette une caisse unique, en particulier parce que:

  • il est irresponsable de vouloir tourner le dos à un système éprouvé de qualité élevée;
  • une caisse unique signifie la fin de la concurrence, qui est bénéfique pour le système, et la fin de la liberté de choix pour la population;
  • une caisse unique risque d’aboutir à une réduction des prestations médicales;
  • une caisse unique entraîne une hausse d’impôts;
  • une caisse unique met un terme à la diversité des modèles d’assurance;
  • une caisse unique ne permet pas de réaliser des économies;
  • une caisse unique risque de mener à une spirale de l’endettement.

Objectifs des nouvelles initiatives

En août 2023 déjà, les délégués du PS ont chargé la direction de leur parti de préparer le lancement d’une nouvelle initiative populaire «pour une caisse maladie publique et sociale en Suisse». Cette initiative vise à ce que chaque canton puisse posséder sa propre caisse-maladie publique (caisse unique), avec en option la possibilité de prévoir des caisses intercantonales. Ces établissements d’assurance cantonaux auraient notamment pour tâche de négocier les différents tarifs appliqués à l’échelon national. De plus, une part des primes doit être investie dans la prévention. Le PS est d’avis que le regroupement des assureurs actuels en une seule caisse cantonale ou régionale permettra de réaliser des économies en termes de publicité, d’administration et de salaires des intermédiaires, des directeurs et des membres des conseils d’administration, tout en mettant fin à la prétendue opacité de la comptabilité et des réserves des assureurs-maladie. Par ailleurs, les caisses auraient l’obligation de rembourser intégralement les assurés en cas de bénéfices et d’investir une part des primes dans la prévention.

Le discours et les plans du PS sont éculés. La seule nouveauté réside dans le fait que la population, selon divers sondages, semble plus ouverte à l’idée d’une caisse unique. Ce qui pose problème dans la mesure où les systèmes de santé gouvernés par la politique ont de nombreux inconvénients, sur lesquels nous reviendrons plus en détail ci-après.

Suite aux discussions portant sur une nouvelle initiative populaire pour une caisse-maladie publique, le canton de Genève a lui aussi déposé une initiative cantonale «Pour une caisse-maladie publique cantonale unique à Genève» (iv. ct. 23.319) au Parlement fédéral. Le canton de Genève demande à l’Assemblée fédérale de mettre en place une base légale permettant aux cantons d’expérimenter des modèles alternatifs de pilotage de la politique de la santé. La révision des dispositions légales vise à permettre au canton de Genève et aux autres cantons d’introduire une caisse unique.

Argumentaire

Non à l’abandon radical d’un système éprouvé de qualité élevée

Le système de santé suisse est l’un des meilleurs au monde. Il garantit à chaque citoyen, quel que soit son revenu, un accès rapide et sûr à des soins médicaux de base de très bonne qualité. Outre cette qualité élevée, le système suisse se distingue par une grande liberté de choix et un degré élevé d’autodétermination, de responsabilité personnelle et de solidarité. En outre, il est financé sans dettes. Ces qualités sont autant de raisons pour rejeter une caisse unique, car il s’agit là des résultats de la concurrence régulée et non d’un système étatique. Le système de santé suisse performant n’est pas une évidence, mais un acquis qui est mis en péril à la légère avec un tel projet de caisse unique. Une caisse unique étatique n’aurait en outre aucune incidence sur les coûts de la santé en hausse constante, car la population ne consommerait pas pour autant moins de prestations médicales. Les primes, qui reflètent les dépenses de santé, ne baisseraient donc pas. La mise en œuvre d’une caisse unique causerait des problèmes pendant de nombreuses années, car les assureurs-maladie devraient être «dépossédés» de leur activité dans l’assurance de base. La suppression des divers assureurs et le passage à une caisse unique monopolistique signifieraient aussi la fin de l’effet modérateur sur les prix qu’a le système actuel d’assurance-maladie axé sur la concurrence.

En supposant que les cantons gèrent une telle caisse-maladie publique cantonale, cela aggraverait le problème que posent déjà les nombreuses casquettes qu’ont les cantons, ce qui freine les réformes, puisqu’ils sont à la fois mandants des prestations, organismes de financement, propriétaires, fournisseurs de prestations, autorités de surveillance, autorités d’approbation des tarifs et planificateurs des soins. Des intérêts particuliers différents, inhérents au système fédéraliste suisse, pourraient compliquer considérablement, voire rendre impossible, la collaboration intercantonale ainsi que le regroupement de caisses cantonales en caisses régionales.

Non au démantèlement de la liberté de choix

Outre la qualité des soins, la population suisse attache une grande importance, en ce qui concerne sa santé, à la liberté de choix et à l’autodétermination. Le libre choix du médecin, de l’hôpital et de l’assureur-maladie en font partie. Certes, trois quarts des assurés limitent leur liberté de choix en optant pour un modèle d’assurance alternatif, mais un quart des assurés souhaitent pouvoir choisir librement. Et les personnes qui ont décidé de limiter leur choix peuvent revenir sur leur décision. Les parts respectives sont restées stables ces dernières années. Une caisse unique étatique irait clairement à l’encontre du besoin de liberté de choix. Une caisse unique étatique est synonyme de contrainte, car tout un chacun devrait alors être assuré auprès d’elle. Elle serait aussi synonyme de dépendance, car les assurés ne pourraient rien faire face à un service de piètre qualité, alors qu’ils peuvent actuellement changer d’assureur-maladie. Elle serait enfin synonyme de mise sous tutelle, car – ainsi que l’indiquent des comparaisons avec des systèmes étrangers – plus le système de santé est étatisé, plus le libre choix du médecin est restreint et plus le mode de traitement est imposé.

Non à la réduction des prestations médicales

En cas de maladie, tout citoyen suisse peut actuellement compter rapidement sur des soins médicaux de haute qualité, remboursés par l’assurance de base. L’âge, la fortune ou l’état de santé ne jouent aucun rôle. Lorsqu’il lui faudra réaliser des économies, la caisse unique pourrait radier des prestations médicales, comme c’est le cas en Angleterre: sur la gauche de l’échiquier politique, le pays, avec son National Health Service NHS étatisé, fait souvent office de terre promise, mais les délais pour obtenir un rendez-vous auprès du NHS devraient faire réfléchir même les plus farouches partisans d’une caisse unique. Aux délais d’attente s’ajoutent des limitations des prestations médicales. Avec une caisse unique sans alternative, la pression concurrentielle fait défaut, ce qui pourrait signifier une baisse de la qualité de service à la clientèle.

Non à une hausse d’impôt

L’idée du PS de nationaliser le système de santé dans le but de coupler les primes aux revenus et de financer les coûts de la santé par l’impôt entraînerait des hausses d’impôt. Il y aurait aussi un risque de voir des prestations être refusées aux patients en cas de difficultés financières de l’État.

Non à la restriction de la diversité des modèles d’assurance

Le Conseil fédéral détermine quelles sont les prestations médicales remboursées par l’assurance de base, indépendamment de l’assurance-maladie auprès de laquelle chaque individu est assuré. Les partisans d’une caisse unique en concluent que la concurrence dans l’assurance de base est inutile. Ce faisant, ils négligent totalement le fait que la concurrence est un puissant moteur permettant d’obtenir une qualité élevée, un service performant et des innovations en faveur des clients. Pour se différencier sur le marché, il y a lieu de se distinguer de ses concurrents, que cela soit par un remboursement rapide des coûts, une prise en charge efficace et compétente des clients ou des modèles d’assurance, services ou applications répondant aux besoins spécifiques des clients (modèles médecin de famille, HMO ou télémédecine). Actuellement, les assurés peuvent influer sur le montant de leur prime, en fonction du modèle d’assurance ou de la participation aux coûts qu’ils choisissent. Cette diversité est appelée à disparaître avec une caisse unique. En lieu et place, il y aurait un modèle d’assurance unique avec une prime élevée et uniforme.

Non à la vaine promesse de «réduction des primes»

Entre 2012 et 2022, les primes des assurances-maladie ont augmenté en moyenne de 2%. Les partisans de la caisse unique promettent que celle-ci permettra de réduire les coûts du système de santé et, donc, les primes. Or, aucune preuve en ce sens n’a encore été fournie. L’Institut d’économie de la santé de Winterthour a publié en 2013 des chiffres à ce sujet[1]: le seul passage du système actuel à une caisse unique coûterait près de 2 milliards de francs à la population suisse. Une famille de quatre personnes devrait donc débourser près de mille francs rien que pour cela. L’effet de ce changement aurait des répercussions nettement plus lourdes sur les coûts de la santé.

D’une part, le comité d’initiative de la nouvelle salve du PS argue que la caisse unique reversera des bénéfices éventuels aux assurés et qu’une part des primes sera investie dans la prévention. Toutefois, l’assurance de base obligatoire en vigueur proscrit déjà tout bénéfice. Les assurances-maladie n’ont le droit de constituer des réserves que pour garantir leur solvabilité à long terme. La caisse unique n’y changera rien. Un argument fallacieux est ici avancé à des fins électorales.

D’autre part, les partisans d’une caisse unique arguent que la baisse des frais administratifs entraînera une réduction des primes. Actuellement, les frais administratifs représentent 5% des primes encaissées. Cela comprend les frais de personnel mais aussi les dépenses pour la publicité (0,2%) et les commissions. Les frais administratifs comprennent donc aussi les salaires du personnel chargé notamment du contrôle des prestations et des factures, qui est l’une des tâches fondamentales des assureurs-maladie. Ce contrôle permet de réaliser, chaque année, des économies d’environ 3,5 milliards de francs. Or, une caisse unique devrait elle aussi faire appel à des agences régionales pour le contrôle détaillé des factures, pour mener les négociations tarifaires et pour conseiller les assurés. Dans les faits, environ 95% des assurés sont actuellement assurés auprès de l’un des dix plus grands assureurs-maladie. Les partisans d’une caisse unique reconnaissent qu’une partie des frais administratifs actuels, qui représentent 5% environ, devrait aussi être comptabilisée dans le système d’une caisse unique. Avec une caisse unique jouissant d’un monopole et sans concurrence, ces coûts auraient tendance à augmenter. Il n’est donc pas possible d’en déduire que les frais administratifs d’une caisse unique seraient forcément moins élevés que dans le système actuel. Il y a lieu de considérer qu’en cas d’affiliation sans alternative, la qualité du service, la diversité des modèles d’assurance et, à moyen terme, l’offre et la qualité des prestations médicales auraient tendance à diminuer. De plus, une caisse unique aurait elle aussi des frais administratifs, ce qui signifie que les économies potentielles sont bien inférieures à 5%.

En très grande partie, à savoir à 95% environ, les primes servent à couvrir les coûts des prestations médicales. Or, ces coûts ne baissent que si la population sollicite moins de prestations médicales ou si elle va moins souvent chez le médecin. Les patients ne devant payer de leur poche qu’une modeste partie des coûts de la santé, ils ne sont pas sensibilisés au fait que leur comportement a une incidence sur les coûts. Depuis bientôt 20 ans, la participation aux coûts n’a pas changé. Si les patients devaient assumer eux-mêmes une part plus importante, ils iraient moins souvent consulter le médecin pour des cas de moindre importance, ce qui allégerait la charge financière des assurés. Une caisse unique ne permettrait donc de réduire ni les coûts ni les primes – cette promesse ne pourra pas être tenue. La population l’a bien compris lors des votations précédentes et a donc toujours rejeté les projets de la gauche.

Non à une économie de l’endettement

Actuellement, en Suisse, les prestations de santé sont financées sans recourir à l’endettement. Chaque génération paie ce dont elle a besoin. Il n’est pas laissé de dettes aux enfants. Il en irait autrement avec une caisse unique gérée par l’État. Il suffit de regarder la situation prévalant dans des pays proches pour s’en convaincre: plus un système de santé est étatisé, plus il est endetté. Les systèmes de santé étatiques en Angleterre et en Italie, de même que les systèmes avec une caisse unique, comme en France, sont fortement endettés. En 2022, la part des coûts de la santé rapportée au produit intérieur brut (PIB) était de 12,7% en Allemagne et de 11,9% en France. Soit nettement plus qu’en Suisse (11,3%)[2].

Non à des expériences cantonales

Il est actuellement de plus en plus souvent question de tester le modèle de caisse unique dans un ou plusieurs cantons. De telles expériences cantonales auraient toutefois de graves répercussions sur le système en place, notamment en ce qui concerne la compensation du risque et le partenariat tarifaire, tout en ouvrant une série de questions quant à la surveillance des caisses-maladie et au calcul des primes. Le modèle d’une caisse unique cantonale à l’essai entraînerait aussi une obligation de participation de la part de la population, ce qui signifierait à nouveau de fortes disparités régionales si les cantons n’instaurent pas tous une caisse unique. Un autre risque lié à de telles expériences serait la quasi-impossibilité de retour en arrière en cas d’échec, avec en corollaire la pérennisation d’une structure administrative inefficace et atone.

Conclusion

Les arguments des partisans d’une caisse unique sont hypocrites et suggèrent un frein à la hausse des coûts. Or, le facteur principal de la hausse des coûts est constitué par les prestations de soins sollicitées, qui représentent 95% des coûts totaux. C’est à ce niveau qu’il faut agir. Une caisse unique étatique aurait par contre tendance à augmenter les frais administratifs pour une qualité de service moindre dans l’ensemble et une réduction de la diversité des modèles d’assurance sans aucune liberté de choix.

[1] Passage à la caisse unique: estimation des coûts liés à un changement de système (ZHAW, 2013): https://www.zhaw.ch/storage/sml/institute-zentren/wig/upload/Bericht_SWK_Einheitskasse_WIG_V3.0_2013_07_04_finale_Version.pdf

[2] Part des coûts de la santé en pourcentage du PIB (OCDE, 2022): https://www.oecd.org/fr/data/indicators/health-spending.html