Les appels à l’aide des hôpitaux sont aussi liés au blocage du tarif médical

Berne/ , 18 avril 2024

Partout en Suisse, les hôpitaux annoncent des chiffres rouges. Les dernières mauvaises nouvelles : une perte de 49 millions de francs à l’hôpital universitaire de Zurich, une perte de 49 millions également pour l’hôpital de Winterthour et une perte de 39 millions à l’hôpital de la ville de Zurich. Ce n’est que la partie émergée de l’iceberg. La situation est tout aussi mauvaise à Fribourg, Berne, Bâle, en Argovie et en Suisse orientale. Et chaque fois, le canton vient en aide à ses hôpitaux en détresse financière. Rien que ces deux dernières années, des sommes colossales ont été mobilisées pour des hôpitaux de tailles diverses.

Pius Zängerle, directeur de curafutura

Voici les sommes dont il est question, sans prétention à l’exhaustivité: cautionnement de 105 millions et prêt de 70 millions dans le canton de Fribourg; 96 millions de correction de valeur pour l’amortissement du nouveau bâtiment de l’hôpital Felix Plattner à Bâle; 240 millions pour l’Hôpital cantonal d’Aarau en difficulté; conversion d’un crédit de 40 millions en fonds propres pour la région hospitalière Rheintal Werdenberg Sarganserland dans le canton de Saint-Gall, 40 millions pour l’hôpital d’Uznach et 100 millions de crédit de construction supplémentaire pour l’hôpital de Grabs; 15 millions de francs de correction de valeur pour le Stadtspital Triemli de Zurich et une nouvelle fois 176 millions de francs d’amortissement; 4 millions de plus pour les urgences de la clinique pédiatrique universitaire et, récemment, nouvelle injection de 135 millions.

Chaque année, plus de 2 milliards de subventions[1]

De plus, un soutien financier annuel massif a été «instauré», comme l’indique une étude réalisée en 2021, dirigée par l’économiste de la santé Stefan Felder, professeur à l’université de Bâle. Ainsi, environ 2,4 milliards de francs par an sont versés exclusivement aux hôpitaux publics et subventionnés, soit plus de 95% de toutes les subventions cantonales. Les récentes interventions et les sauvetages in extremis d’hôpitaux en difficulté financière ne sont pas pris en compte dans ce montant.

Au vu de la situation, entendre les gouvernements cantonaux prétendre que leurs hôpitaux sont autonomes et qu’ils ont pris leur envol relève du comique. Que faut-il faire? Quelles sont les causes de cette situation? Et cette dynamique dans laquelle certains hôpitaux se retrouvent en difficulté financière est-elle uniquement mauvaise? En réalité, non. Car nous avons, avec 278 établissements, trop d’hôpitaux et nous ne pensons pas assez en termes de régions hospitalières.

Malgré les difficultés financières, la volonté de pratiquer une médecine de pointe ne faiblit pas, comme à Saint-Gall. Il n’est pas non plus judicieux pour les hôpitaux d’investir dans de nouveaux bâtiments somptueux, offrant certes une infrastructure ultramoderne, mais principalement axés sur l’occupation des lits et les séjours stationnaires. Pendant ce temps, le recours à l’ambulatoire, plus avantageux et donc souhaité par les experts et les responsables politiques, doit continuer à être promu.

Il serait opportun de renoncer à de nouvelles constructions surdimensionnées. Le canton d’Argovie est l’ exemple à ne pas suivre: ses deux hôpitaux cantonaux, à Aarau et Baden, proposant des prestations complètes sont à 20 minutes l’un de l’autre. Et un hôpital surdimensionné est en train de voir le jour à Aarau, sans doute pour pouvoir prétendre, ici aussi, au statut d’hôpital universitaire. Le soutien illimité des cantons au détriment des contribuables n’est pas non plus souhaitable. En effet, d’un côté ils réprimandent les responsables hospitaliers pour, de l’autre, leur venir en aide financière à chaque occasion. Comment pourraient-ils apprendre de cette situation?

Il est grand temps de réorganiser les mandats de prestations confiés aux hôpitaux par les cantons. Actuellement, les hôpitaux ayant une offre semblable sont beaucoup trop nombreux. Voici les points prioritaires: les hôpitaux universitaires doivent se concentrer sur la médecine (hautement) spécialisée. Ils doivent confier les soins de base (spécialisés) à d’autres ou les fournir ailleurs en optimisant les coûts. Les centres hospitaliers doivent se consacrer aux soins de base élargis, mais cesser de vouloir pratiquer la médecine universitaire. Il leur revient de confier la médecine hautement spécialisée aux hôpitaux universitaires – et de renoncer à vouloir tout faire en tant que centre. Enfin, la médecine ambulatoire, qui nécessite peu d’infrastructures, doit surtout être dispensée dans les services ambulatoires. Quant aux régions hospitalières, généralement composées de plusieurs cantons, leur rôle est de veiller à ce que les offres soient attribuées de manière différenciée horizontalement afin que des prestations avec des infrastructures coûteuses ne soient pas proposées deux fois ou plusieurs fois à 15 minutes de distance.

Ainsi serait révolue l’époque où l’hôpital universitaire s’occupe d’accidents et de maladies bénins et où le centre hospitalier ou l’hôpital régional gère des opérations cardiaques très complexes avec une infrastructure spécialisée aux prix exorbitants. La population soutiendra un tel développement intelligent. Parce que l’offre serait ainsi clairement définie et que le gaspillage des impôts et des primes prendrait fin.

En matière de financement, nous avons fait un grand pas en avant grâce à l’adoption par le Parlement du financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires EFAS en décembre dernier, une réforme qui accélère le transfert vers les traitements ambulatoires moins coûteux. De ce fait, la pression augmentera sur les planificateurs hospitaliers pour investir davantage dans des structures ambulatoires performantes.

La tarification a également une forte incidence sur la détresse financière des hôpitaux. Nous pensons ici à la structure tarifaire ambulatoire, introduite il y a maintenant 20 ans avec le TARMED. Elle est obsolète et ne reflète plus, depuis longtemps, la médecine actuelle.

Actuellement, il appartient à la conseillère fédérale Baume-Schneider et au Conseil fédéral, de décider si le TARDOC, qui est dans les starting-blocks, peut effectivement entrer en vigueur au 1er janvier 2025. Cela soulagerait enfin les hôpitaux pédiatriques, qui sont confrontés à des difficultés financières. En effet, le TARDOC améliorerait clairement leur situation, tout en étant globalement neutre en termes de coûts.

Le TARDOC a ceci de paradoxal que tous les partenaires tarifaires, c’est-à-dire curafutura, la FMH, H+ et santésuisse, l’approuvent, mais que son application dans les plus brefs délais est loin d’être acquise. Des hésitations voire une manœuvre tactique de la part du Département fédéral de l’intérieur (DFI) serait tout à fait incompréhensible, notamment lorsque l’on tient compte du potentiel d’économie de 600 millions de francs.

[1] Les subventions comprennent les prestations d’intérêt général, les financements croisés exagérés résultant de prix de base (baserate) exagérés ainsi que les frais d’investissement dissimulés