Stefan Felder: «Il doit y avoir une limite où s’arrête la responsabilité de l’État et où commence celle des particuliers»
Berne/ , 25 août 2023La coopération est l’une des valeurs fondamentales de curafutura : les meilleures solutions naissent souvent de partenariats entre les acteurs. C’est dans cet esprit que nous donnons la parole aux acteurs du système de santé dans une série d’interviews.
Stefan Felder estime qu’il est trompeur de parler d’assurance de base en Suisse: «Dans les faits, nous avons une assurance intégrale obligatoire.» L’économiste de la santé de l’Université de Bâle insiste sur l’importance d’éditer des règles claires et de réduire les prestations dans l’assurance obligatoire des soins (AOS).
Comment caractériseriez-vous le catalogue de prestations de l’assurance de base?
Parler d’assurance de base est en fait trompeur. Si l’on regarde le catalogue de prestations de l’AOS, nous avons tout le contraire d’une assurance de base. C’est une assurance intégrale pour tout et pour tous, comme il n’en existe nulle part ailleurs dans le monde. Elle a été votée par le peuple en 1994 et depuis, l’étendue de sa couverture ne cesse d’augmenter, avec les progrès techniques de la médecine et les besoins croissants des assurés. L’assurance de base couvre 97 à 98% de ce qui est aujourd’hui médicalement possible.
Faudrait-il restreindre le catalogue?
Il est urgent de limiter le catalogue de prestations – mais personne ne veut en entendre parler. Les fournisseurs de prestations sont aujourd’hui libres d’essayer des nouveautés, sans devoir généralement obtenir au préalable une garantie de prise en charge des coûts. Ainsi, le catalogue de prestations se développe de manière dynamique. La croissance provient moins de l’évolution des prix que de celle des quantités.
Quel est le rôle des assurances complémentaires?
Le domaine de l’assurance complémentaire est peu dynamique; il est phagocyté par l’AOS qui absorbe en permanence toutes les nouveautés. La part de l’assurance privée dans le financement des dépenses de santé est d’à peine 6,5% – et la tendance est à la baisse. L’accès au médecin-chef et à une chambre à un lit à l’hôpital ne signifient pas une meilleure prise en charge médicale – dans l’assurance complémentaire, on paie surtout pour un meilleur confort. Cette évolution est absurde. C’est l’inverse qui devrait se produire: plus une société est riche, plus la part de l’assurance maladie privée dans les coûts totaux des soins de santé devrait être élevée.
Chaque automne, nous débattons de l’augmentation des primes d’assurance-maladie. Le reste de l’année, de nombreux acteurs, politiciens et médias font pression pour que de nouvelles prestations soient intégrées au catalogue de l’AOS.
Personne ou presque ne sait que les primes, compte tenu des réductions individuelles, ne financent qu’environ 30% des dépenses de santé. La politique et l’administration distribuent des cadeaux et les assureurs sont limités dans leurs possibilités. Les nombreuses sources de financement qui se superposent brouillent les responsabilités.
Vous semblez résigné.
Je suis réaliste. Si nous considérons l’avenir, cette tendance va se poursuivre. Chaque année, nous avons 3 ou 4% de dépenses supplémentaires. Le problème fondamental dans le domaine de la santé est que la responsabilité de l’État n’est pas réglée. Où s’arrête la responsabilité de l’État? Tout le monde a-t-il droit à une «médecine présidentielle», digne de celle prodiguée au président américain? Bien sûr que non: il doit y avoir une limite où s’arrête la responsabilité de l’État et où commence celle des particuliers. Cette discussion n’est pas agréable et elle n’est pas menée.
Comment briser cette spirale?
En 2010, le Tribunal fédéral déplorait déjà que le monde politique n’ait pas défini les critères d’évaluation du rapport coût-efficacité des prestations médicales. Il faut des règles explicites sur la manière de mesurer l’utilité d’une thérapie et de la comparer aux coûts, et déterminer ce que la société est prête à payer pour cela. C’est ce que font depuis longtemps l’Angleterre et les pays scandinaves.
Où nous situons-nous par rapport aux autres pays?
Nous sommes à la pointe, surtout en ce qui concerne l’accès aux services médicaux. La densité de médecins établis, notamment de spécialistes, est très élevée. Contrairement aux pays voisins, il n’y a pratiquement pas de temps d’attente pour les traitements électifs. Il y a actuellement un engorgement en matière d’autorisation et de remboursement de nouveaux médicaments coûteux. Le fait que nous n’ayons pas de base légale convaincante pour mesurer l’utilité des prestations médicales se retourne contre nous.
Si vous pouviez apporter un changement à la loi, quel serait-il?
Bientôt trente ans après la votation populaire sur l’AOS, il manque un cadre légal quant à l’exécution des trois critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité. J’y ajouterais un passage comme dans la loi allemande: «L’évaluation du rapport coût-efficacité se fait sur la base de normes internationales de médecine basée sur des preuves et d’économie de la santé, reconnues dans les milieux professionnels concernés.»
Qu’est-ce qui vous incite à participer au débat sur les frais médicaux?
Ma motivation repose sur un constat simple: nous pouvons organiser notre système de santé de manière plus efficace et plus performante sans que la qualité n’en pâtisse. Dans le débat sur les coûts de la santé, nombre d’arguments sont fallacieux et uniquement destinés à garantir le maintien du pouvoir et des prébendes. Et là, je me suis donné pour mission d’agacer les médecins.
Pour quelle raison?
Parce qu’en règle générale, ils ne veulent pas mener la discussion sur l’établissement de règles claires. Disons-le clairement: l’hôpital universitaire de Bâle réalise un chiffre d’affaires annuel de 1,3 milliard de francs – et est géré comme une coalition de royaumes. On dispose des appareils les plus modernes et, en même temps, de méthodes de gestion et de processus désuets. Conséquence: tout est terriblement cher.