Interview Felix Huber: le deuxième volet de mesures et ses nombreuses prescriptions mettent en péril les soins coordonnés

Berne/ , 17 mars 2023
Les soins coordonnés ont progressé très rapidement ces dernières années. Felix Huber, pionnier des réseaux médicaux, craint toutefois aujourd’hui que le deuxième volet de mesures du Conseil fédéral réduise à néant les succès obtenus. Dans une interview accordée à curafutura, il plaide pour la patience au lieu d’une frénésie de réforme. Les bons modèles performants s’imposeraient alors d’eux-mêmes.
Felix Huber, médecin généraliste, a fondé en 1998 le réseau Medix qui regroupe aujourd’hui dix réseaux de soins régionaux auxquels sont affiliés plus de 700 médecins de famille.
Monsieur Huber, vous avez émis des critiques sur le deuxième volet de mesures du Conseil fédéral. Qu’est-ce qui vous dérange dans ce projet ?

Le conseiller fédéral Berset veut renforcer les soins coordonnés avec ce deuxième volet de mesures en les réglementant de bout en bout ce domaine. Il s’agit d’une démarche dangereuse et totalement inutile. Les soins coordonnés ont connu un développement formidable et s’améliorent sans cesse. Des règles légales étoufferaient cette force d’innovation. La situation est grotesque: la politique activiste est obsédée par d’incessantes interventions et prescriptions. La manière dont M. Berset gère son département conduit à une frénésie de réformes, qui est loin d’être terminée – et dont nous, médecins, ainsi que tout le système, souffrons.

À quoi pensez-vous ?

À la révision concernant la qualité, qui est une véritable catastrophe. Ou à la réglementation indigente en matière d’admission: à peine entrée en vigueur, elle doit déjà être revue.

Quel est le danger en ce qui concerne les soins coordonnés?

Les mesures mettent en danger le développement des soins coordonnés par les médecins de famille avec d’innombrables prescriptions – qui sont déjà destructrices de par leur formulation dans le texte de loi. Si l’on y ajoute en plus l’ordonnance de l’OFSP, l’histoire à succès des modèles d’assurance alternatifs sera tout simplement étouffée. Selon ce modèle, les réseaux devraient en effet être organisés et composés d’après un schéma complètement surréglementé. Tout deviendrait lourd et soumis une autorisation. Les cantons devraient attribuer aux réseaux des mandats de prestations cantonaux assortis de nombreuses conditions encore et contrôler leur qualité. C’est un cauchemar pour les soins coordonnés. Ils n’ont pu prospérer aussi bien jusqu’à maintenant que parce qu’ils bénéficient d’un terrain dégagé.

La Confédération fait-elle de la politique sans tenir compte de la pratique?

La politique et l’administration réagissent toujours à des situations insatisfaisantes par de nouvelles lois et ordonnances qui dépassent leur objectif. Tous les projets de politique de la santé de ces dernières années en témoignent tristement. L’ordonnance sur l’intégrité et la transparence dans le domaine des produits thérapeutiques (OITPTh) empêche avec les conditions qu’elle impose toute possibilité de négocier des rabais avec l’industrie. La nouvelle loi sur la qualité tarde à être mise en œuvre en raison de contraintes hors sol et ne trouve que peu de projets alors que des millions de francs sont à disposition. Le dossier électronique du patient (DEP) ne présente pas d’utilité et doit littéralement imposé aux hôpitaux et fournisseurs de prestations. Il va échouer sur toute la ligne. La réglementation des admissions met en péril la sécurité de l’approvisionnement en soins et va conduire à une cascade de procédures juridiques. Beaucoup de choses ont introduites à la hâte et n’engendrent que des coûts et des ennuis.

Par exemple?

La copie obligatoire de la facture au patient. Elle a été imposée au système sans s’assurer qu’elle était praticable. Aucun intermédiaire ni aucun système informatique de cabinet n’a pu la mettre en œuvre. La confusion règne aussi chez de nombreux patients âgés. Seule la Poste en tire parti: elle peut acheminer des millions de courriers, et les fournisseurs de prestations doivent payer.

Comment inverser la vapeur?

Nous avons besoin, d’une part, de calme dans cette frénésie de réforme et, d’autre part, du déblocage de réformes importantes et incontestées comme EFAS et TARDOC. S’agissant des soins coordonnés, deux interventions très peu invasives suffisent: les médecins de famille travaillant sérieusement dans des réseaux conventionnés ne veulent pas figurer sur des listes qui sont présentées de manière trompeuse aux patients comme des modèles de médecin de famille. Ils doivent donc avoir la possibilité de demander leur radiation de modèles de listes (art. 41, al. 4 LAMal). En outre, je suis favorable à ce que l’OFSP cesse de contrôler les primes des modèles alternatifs d’assurance. Les assureurs doivent pouvoir fixer librement leurs primes (art. 101 OAMal).

Deuxième volet de mesures – la position de curafutura:

curafutura rejette les modifications de la LAMal proposées par le Conseil fédéral au titre de deuxième volet de mesures visant à freiner la hausse des coûts. Le rapport du Conseil fédéral ne contient aucune estimation réaliste des conséquences de la réglementation, ni d’ailleurs d’éléments concrets quant au montant des conséquences qu’aurait ce volet sur les coûts. curafutura relève en outre l’absence de subdivision logique. L’objectif premier du volet, à savoir freiner la hausse des coûts, n’est pas atteint: les modifications prévues de la LAMal réduisent uniquement la marge de manœuvre dont disposent actuellement les assurés quant au choix de leur assurance de base.

Le projet détériore en particulier, au détriment des assurés, les conditions permettant de poursuivre le développement de nouveaux modèles de soins intégrés. En outre, il affaiblit le partenariat tarifaire et représente une nouvelle étape importante vers l’étatisation du système de santé.