Le fédéralisme dans la limitation de l’admission des médecins – la nouvelle réglementation mise à l’épreuve

Berne/ , 7 mars 2024

Depuis le 1er juillet 2023, les cantons doivent limiter l’admission des médecins autorisés à pratiquer à charge de l’assurance-maladie, conformément aux nouvelles dispositions de la LAMal. À ce jour, on constate que chaque canton a sa propre manière d’aborder la question, et les pratiques du canton de Genève diffèrent par exemple fortement de celles du canton des Grisons.

Selon l’art. 55a LAMal, un canton doit imposer une limite supérieure à l’offre de médecins en ambulatoire dans au moins une discipline médicale ou une région spécifique. Le Conseil fédéral prescrit les critères et les principes méthodologiques pour la fixation de ces plafonds et calcule les besoins en prestations médicales à l’aide d’un modèle de régression. Ce modèle tient compte de facteurs tels que la démographie et la morbidité, adapte les besoins aux flux de patients intercantonaux ou interrégionaux et calcule les taux de couverture par spécialité. Le canton établit ensuite le rapport entre l’offre existante de médecins (équivalents plein temps) et le taux de couverture, en tenant compte de facteurs cantonaux spécifiques qui ne sont pas pris en compte dans le modèle national, et en déduit si, dans une spécialité médicale donnée, le nombre maximal est atteint sur son territoire cantonal. Tant que c’est le cas, il n’octroie aucune nouvelle autorisation de pratiquer à la charge de l’assurance obligatoire des soins (AOS).

Le Parlement national avait débattu intensément de la question de savoir dans quelle mesure les prescriptions de droit fédéral en la matière devaient être contraignantes pour les cantons. Comme souvent, le résultat a été un compromis: les cantons doivent limiter les admissions des médecins, mais pas sur l’ensemble de leur territoire. Le texte de loi précise ainsi: dans un ou plusieurs domaines de spécialisation médicale ou dans certaines régions. Le législateur confère ainsi la souveraineté aux cantons et leur accorde une grande marge de manœuvre.

Comme le montre le graphique ci-dessous, les cantons font usage de cette marge de manoeuvre. La mise en œuvre de la nouvelle réglementation se fait de manière très variable. Des cantons comme Genève et le Jura vont assez loin et ont introduit des nombres maximaux de médecins presque partout. Plusieurs cantons s’en sont en revanche tenu au minimum légal et n’ont fixé des nombres maximaux que dans une ou deux spécialités médicales. Certains cantons, comme les Grisons, ont laissé passer la date d’entrée en vigueur de la réglementation sans agir et se trouvent actuellement dans une zone grise juridique.

Admission des médecins autorisés à pratiquer à charge de l’AOS dans le domaine ambulatoire: nombre de spécialités médicales connaissant une restriction (nombre maximum)

Situation en février 2024

En raison de données insuffisantes, huit cantons ont fixé des nombres maximaux sur la base d’une disposition transitoire selon laquelle l’offre existante de médecins peut être considérée comme adaptée aux besoins et économique, jusqu’au 30 juin 2025 au plus tard. Dans ces cantons, mais aussi dans d’autres, on peut s’attendre à une adaptation des nombres maximaux au cours des prochaines années.

Les cantons de Zurich, Bâle-Ville et Bâle-Campagne ont stoppé le processus de fixation de plafonds, car ils souhaitent d’abord introduire une base légale cantonale. Ils se basent pour cela sur un arrêt du tribunal cantonal de Bâle-Campagne qui a annulé une ordonnance interdisant l’admission de médecins au motif qu’il n’existe pas de base légale cantonale. Les cantons des Grisons et de Soleure ont, quant à eux, mis en place une base légale, mais n’ont pas encore adopté d’ordonnance fixant des nombres maximaux de médecins.

Le canton de Berne n’a pas fixé de plafonds à l’échelle du territoire cantonal, mais uniquement pour certaines régions. Ce qui paraît tout à fait judicieux dans les grands cantons peut être remis en question dans des petits cantons tels qu’Appenzell Rhodes-Intérieures. Ce canton a en effet limité à 0 la spécialité rare de la chirurgie de la main dans le district de Schlatt-Haslen (nombre d’habitants d’environ 1100 personnes).

Parmi les spécialités médicales limitées, la radiologie se distingue. À ce jour, dix cantons ont limité le nombre de médecins dans cette spécialité. Viennent ensuite la chirurgie orthopédique et la traumatologie (7 cantons), suivies par la chirurgie et la chirurgie plastique, reconstructive et esthétique (respectivement 6 cantons).

Le site Internet zulassungstopp.ch offre un bon aperçu de toutes les spécialités médicales pour lesquelles le nombre de médecins a été limité dans les différents cantons.

Bilan et perspectives 

Depuis le 1er juillet 2023, les cantons doivent mettre en œuvre la limitation des admissions selon les nouvelles dispositions de la LAMal. Jusqu’au 30 juin 2025, ils peuvent faire usage d’une disposition transitoire et définir l’offre existante de médecins comme adaptée aux besoins. Nous nous trouvons actuellement dans une phase de transition et il est encore trop tôt pour tirer un bilan définitif. On constate toutefois déjà que les cantons utilisent leur marge de manœuvre et appliquent différemment les directives fédérales.

Cette diversité dans la mise en œuvre n’est d’ailleurs pas forcément une mauvaise chose: après quelques années d’expérience, il sera peut-être possible de déterminer laquelle des variantes choisies est la plus efficace et se rapproche le plus de l’objectif d’une bonne qualité des soins tout en évitant des coûts excessifs. Et nous saurons probablement si la nouvelle réglementation légale en matière d’admission des médecins est une mesure judicieuse ou une réglementation inutile. Quoi qu’il en soit, la réglementation des admissions doit être mise à l’épreuve avant d’envisager d’autres démarches, que ce soit pour les médecins ou pour les autres professions médicales.