Tribune – La dangereuse pression exercée par la pharma
16 mars 2024Ce que des entreprises comme UBS ou Crédit Suisse sont – ou ont pendant longtemps été – dans le secteur financier, sont aujourd’hui dans l’industrie pharmaceutique des firmes tels que Novartis, Roche, Johnson & Johnson ou MSD. Mais, alors que la place bancaire a perdu de son rayonnement, l’influence de la pharma en Suisse reste élevée. Les quelque 1’000 entreprises et leurs 75’000 collaborateurs génèrent la moitié du volume des exportations suisses. Leur influence sur le Conseil fédéral et les autorités est à l’avenant.
Cette influence a des répercussions directes pour les payeurs de primes. Les entreprises pharmaceutiques bénéficient de leur place particulière dans le commerce extérieur lorsqu’il s’agit de négocier le prix des médicaments remboursés par l’assurance-maladie. Un nouveau traitement en oncologie coûtait 1’000 francs il y a dix ans, il en coûte aujourd’hui 10’000 francs, soit une augmentation de 900% !
La bonne nouvelle : en Suisse, les patients peuvent accéder rapidement à de nombreuses nouvelles thérapies qui arrivent sur le marché. La mauvaise: le prix des nouveaux médicaments est trop élevé, et ce alors que les dépenses de médicaments représentent déjà près d’un quart des coûts de l’assurance de base.
Le débat parlementaire actuel sur le deuxième volet de mesures « pour maîtriser les coûts » porte précisément sur ce sujet. Et les revendications de l’industrie pharmaceutique devraient inquiéter tous les payeurs de primes. Elle veut court-circuiter les négociations habituelles portant sur le prix d’un médicament entre l’OFSP et le producteur. Son idée: repousser ces négociations à plus tard, voire aux calendes grecques, et donner à tous les nouveaux médicaments un prix « provisoire » dès leur autorisation par Swissmedic.
Le premier problème est que ce prix « provisoire » serait trop élevé, car basé uniquement sur une comparaison avec les prix officiels pratiqués à l’étranger. Or, ceux-ci sont des prix « vitrines » surfaits, car ils ne tiennent pas compte des rabais qu’obtient chaque pays auprès des producteurs dans des négociations à huis clos.
Théoriquement, la négociation sur le prix final viendrait remédier à cette situation, car OFSP et producteur s’entendraient sur un prix adéquat et sur des remboursements de la part du producteur si le prix provisoire était trop haut (ce qu’il sera). Mais, le risque est grand que cette belle mécanique reste lettre morte.
En effet, et c’est le deuxième problème, le prix « provisoire » n’en est pas un et peut de facto s’éterniser. La période de base prévue pour l’application du prix provisoire est déjà très longue, avec 24 mois. De plus, le producteur est le seul acteur habilité à combattre une décision de l’OFSP sur le prix d’un médicament. Une telle bataille juridique repousserait de plusieurs années la décision sur un prix définitif ou la bloquerait complètement. Pendant ce temps, c’est le prix « provisoire » trop élevé qui continuerait de s’appliquer, faisant allègrement gonfler les coûts de l’assurance de base.
Le Parlement semble aujourd’hui disposé à suivre l’argumentation de la branche pharmaceutique. Je souhaite ici y apporter un contrepoids, afin de défendre les payeurs de primes. En effet, si l’intérêt du patient d’accéder le plus rapidement possible à des médicaments qui arrivent sur le marché est compréhensible, il faut rappeler que cela est déjà possible aujourd’hui. C’est notamment ce que permet l’utilisation off-label, à laquelle recourent de plus en plus de patients. L’accès aux traitements très récents est donc bon et il n’est pas correct de le dépeindre comme le parent pauvre du système.
En revanche, l’évolution pour les payeurs de primes est, elle, effectivement tendue. Il est donc d’autant plus important que le Parlement prenne en compte leur point de vue dans la pesée d’intérêts qu’il fera à propos des règles pour fixer le prix des médicaments. Nous pensons pour notre part qu’il ne peut pas être question d’imposer aux assurés de nouvelles hausses de primes massives pour la simple raison que certains politiques souhaitent suivre aveuglément l’industrie pharmaceutique.